Le Coréen JaeWoo Park est arrivé en Lorraine l’avant-dernier jour de 2002, sans connaître un mot de
français. S’il a opté pour notre pays, c’est qu’il aimait ses philosophes, surtout Jean-Paul Sartre. Et s’il a choisi Nancy, c’est parce que cette cité est à l’échelle
de Daegu, sa ville natale : « De taille moyenne, universitaire et un peu conservatrice, ce qui me convient ».
JaeWoo ne veut pas révolutionner la peinture. Il revendique « un regard non conceptualisé » et s’efforce d’« effacer » toutes ses intentions… sauf celle de peindre
bien, « avec un œil vif » et, pour tout dire, dans la grande tradition des maîtres flamands et italiens de la Renaissance, ses mentors avoués.
Pour cela, il travaille sans relâche dans un minuscule atelier d’artiste, mal éclairé, mal chauffé, avec pour seul compagnon son ordinateur dont il reproduit, avec une fidélité
n’excluant pas la poésie, les images qu’il a photographiées : rues de Nancy sous la pluie, escaliers enneigés, amis artistes saisis à l’improviste, membres de sa famille, modèles
nus… « Bien sûr, je préfèrerais travailler le motif sur le terrain ou faire poser mes sujets pendant des mois, comme au quattrocento, mais il faut faire avec les moyens limités
d’aujourd’hui ».
Ces contraintes ne l’empêchent pas de peindre à l’ancienne, en mélangeant soigneusement son huile de lin et son essence de térébenthine, plutôt que d’acheter des médiums tout
préparés.
Le vrai défi est ailleurs : dans le geste juste, les milliers de touches précises ajoutées les unes aux autres, qui finissent par se recouvrir tout en
préservant leurs transparences : « Plus j’applique de couches, plus j’obtiens de la profondeur. Les glacis successifs donnent de la densité, de la lourdeur, même si le temps
infini passé à peindre ainsi est un vrai gouffre financier, du fait de ma faible productivité ».
Maniaque de la perfection, Jae Woo Park n’a signé que cinq grands formats en trois ans : « Je rêve de la disponibilité du Caravage qui passait quatre ans sur une seule
toile, ou de Vinci qui pouvait en retoucher une durant un quart de siècle ».
Pour ne pas frustrer les amateurs d’art provinciaux peu fortunés, il réalise également des petits tableaux d’une délicatesse exquise – notamment des portraits et des natures mortes –
et se lance aujourd’hui dans le dessin, manière de retourner aux bases de son art exigeant et de le parfaire encore.
Découvrez le vite dans son terreau d’adoption, avant que les galeristes parisiens, enfin sensibles à son originalité, ne fassent exploser sa
cote.
Gérard Charut